Inégalités ; les clichés ont la vie dure

En 1835, Alexis de Tocqueville écrivait dans son livre " De la démocratie en Amérique " Quand l'inégalité est la loi commune d'une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l'œil, quand tout est à peu près à niveau, les moindres le blessent. C'est pour cela que le désir d'égalité devient plus grand au fur et à mesure que l'égalité grandit" Autrement dit, moins il y a d'inégalités dans une société, plus elles sont jugées insupportables.

Cette affirmation qui n'a pas pris une ride, ne veut pas dire que la réduction des inégalités est inutile...

C'est dans les pays nordiques où la société est la plus égalitaire, avec une fiscalité et une redistribution fortes que le sentiment d'inégalité est le plus fort. Ceci vaut aussi pour la France, le pays où la lutte contre les inégalités est la plus importante d'Europe. Or, et cela se comprend, la majorité de l'opinion publique française est persuadée du contraire.

Autrefois, il y a un siècle environ, les inégalités entre les citoyens étaient beaucoup plus criantes qu'aujourd'hui. Mais, il y avait une acceptation collective tacite des différences qui laissait aux syndicats ouvriers le monopole de "la lutte des classes" Dans notre région, les bourgeois, le médecin, l'instituteur, les fonctionnaires ...représentaient la classe dominante par rapport à nous fils et filles d'agriculteurs fermiers.

Les trente glorieuses ont permis une évolution globale du niveau de vie, et depuis la politique de redistribution, avec les congés payés, la Sécurité Sociale et la CMU, le SMIC, l'assurance chômage et toutes les allocations et aides diverses ont permis un recul très important de la pauvreté. Et pourtant, le sentiment d'inégalité est toujours présent dans notre société, mais il a changé de nature. Il est devenu plus individuel au fur et à mesure que l'information est devenu accessible à tous. Les comparaisons alimentent ce sentiment d'inégalité, les vêtements à la mode de la voisine, la voiture plus grosse et plus puissante du voisin, la maison plus grande, les vacances et le sacro saint resto synonyme d'aisance signe distinctif des nantis...

Toutes ces différences nourrissent un sentiment d'inégalité, d'injustice, Pourquoi pas moi ? Et l'on se retourne contre l'Etat, le grand coupable qui ne fait jamais ce qu'il faut et qu'ainsi on condamne a toujours plus d'assistance.

Ce qui est relativement nouveau, c'est que le ressentiment peut s'exercer en toute liberté sur les réseaux sociaux, où l'on peut étaler son mal être et son amertume en éreintant les hommes politiques, la société, et les autres internautes qui ne pensent pas comme nous.

Les clichés ont la vie dure et je ne vois pas ni dans le Gouvernement, ni dans les oppositions le chemin vers l'égalité des chances, qui nous permettrait de sortir "des passions tristes" à la Spinoza.

Etienne Remaud,